Sous-bois
Le proverbe : « Pour vivre heureux vivons cachés »
N’est-il pas simplement un conseil judicieux
Donné par la nature à tous les prétentieux
Qui de ce qui brille semblent s’amouracher
J‘en veux pour exemple la simple promenade
Qui m’a mené céans aux aurores ce matin.
C’est un endroit discret où la lumière s’éteint
Protégé de Phoebus par une immense arcade
Une armée de sapins presque tous centenaires
Y montent vers le ciel à l’assaut du soleil
En gardant bien caché un monde de merveilles
Dont ils sont à jamais les fiers paratonnerres
Je pénètre en ces lieux par une sente obscure
Saupoudrée au travers de rares interstices
De rayons lumineux qui dans les ombres tissent
Un fil invitant fort à risquer l’aventure
Quelques pas et soudain saisis par le silence
Je me laisse cueillir par la fraîche atmosphère
Qui semble me vêtir d’un capulet offert
Par mon hôte sylvestre en mal de bienveillance
Précautionneusement, la forêt m’apprivoise
Habitués à présent mes yeux me laissent voir
De petits arbrisseaux aux fruits ronds presque noir
Semblant sortir d’un lit que la mousse pavoise
Elles sont là devant moi les violettes myrtilles
Notes dansant sur une portée musicale
Encor toutes parées de la fleur virginale
Qui voile chaque grain d’une pâle mantille
Plus loin car du sentier quelque peu à l’écart
Sont de petits fruits rouges arrangés sous leurs tiges
Et au-dessus desquels une abeille voltige
Leur senteur l’attirant tel un puissant nectar
C’est un étroit carré rempli de fraises des bois
Qui peut-être parce qu’on les nomme sauvages
Sans conteste, et cela, depuis le fond des âges
Parmi tous les fraisiers sont le premier des choix
Que vais-je encore trouver pour remplir le panier
Déjà un peu lesté par ces sucrés délices ?
Trouverais-je aujourd’hui les parages propices
Qui procurent au cueilleur des joies de braconnier
Un papillon, mais non, c’est bien sûr une feuille
Qui tombe là doucement et puis comme à dessein
Sur un petit chapeau qui lui sert de coussin
S’arrête pour me faire un malicieux clin d’œil
Qu’a-t-elle à me montrer la feuille nostalgique
Serait-ce l’oronge champignon des césars
Ou n’est-ce pas plutôt bien moins heureux hasard
L’amanite panthère aux vertus maléfiques
Les champignons des bois ne sont pas solitaires
Ils se plaisent à sortir il suffit de chercher
Près de l’amanite le sol en est jonché
Paradant à loisir comme sur un éventaire
La lépiote pudique arrange sa coupelle
Trompettes de la mort et coprins caracolent
Chanterelles et giroles dansent une farandole
Les morilles d’automne se tiennent en sentinelle
Le lactaire délicieux offre aux fourmis son lait
Le cèpe des pins au chasseur se signale
Bientôt outrepassé par le bolet royal
Tandis qu’ici gît le cortinaire violet
La ronde mycologique s’interrompait
D’emporter ces trésors le moment est venu
Par le charme des lieux, je me sens retenu
Pourrais-je m’éloigner de ce havre de paix
Comme Cendrillon au bal du prince charmant
Aux mystérieux sous-bois, allons nous attarder
Souffrons alors de voir notre âme s’évader
Et loin des tumultes vivre plus sagement…
Alain Bernard le 26 novembre 2020